jeudi 27 décembre 2012

Là où crèvent les trains - I


La porte d'entrée s'ouvre en fracas.

_ Papaaaaaa !

_ Hein ?

Tu déboules dans le salon où tu me trouves affalé dans le canapé. J'ai toujours pas enfilé de futal depuis ce matin, et j'ai l'oeil rivé sur une émission TV qui traite du régime alimentaire des fourmis rouges.

_ Faut absolument que tu signes ce papier pour l'école ! J'en ai trop besoin, c'est pour le cours d'anglais !

_ Donne.

Je prends la feuille et un stylo fluo que tu me tends, puis je signe ton papier avec une encre rose baveuse. Tu m'arraches le document des mains illico, mais me laisses le stylo.

_ Tu fais le chèque avec s'il te plais ?

_ Hein ?

_ Bein ouais, pour le voyage de classe y faut payer 400 euros.

_ Quel voyage de classe ?

_ Bein le voyage pour lequel tu viens de signer.

_ Peut-être que si tu vends mon autographe t'en retirera l'argent nécessaire.

_ Tu déconnes, t'es pas assez connu pour ça. Aller papa, allerpapaallerpapaallerpapas'ilteuplaits'ilteuplaiiiiiiit.

_ Tu m'emmerdes fillette. Au début il est question d'un papier à signer pour le cours d'anglais, la seconde qui suit c'est pour partir à l'aventure avec une bande de gamins débiles qui vont fumer des clopes et gerber sur du gazon anglais après leur première bière.

_ Mais nan, je boirais pas et je fumerai pas, t'inquiète. C'est cool.

_ C'est pas cool, nan. J'aimerais bien que tu me parles de ce genre de trucs avant de me filer n'importe quoi à signer.

_ T'as qu'à lire ce que je te donne à signer aussi.

_ Hey ho, tu me casses les roupettes. Va faire tes devoirs, on en reparle après, pendant le dîner.

_ Tu fais chier...

_ Oh tu pourrais mieux...

T'es déjà partie dans ta chambre. Tu m'uses plus vite qu'un sprint dans une montée.

Tout juste 12 ans, t'as déjà ma personnalité d'emmerdeur publique. Et puis tu jures comme un charretier. J'ai foiré ton éducation, alors oui, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Ya une grosse faille dans ma mécanique parentale.

Je m'allume une cigarette et coupe la télévision. Le silence est juste parasité par la musique que tu écoutes à fond. Ça m'aurait moins dérangé si tu écoutais Led Zep, ou Chopin. Mais c'est une saloperie de FM pour ados que tu mets, la plupart du temps.

J'ai vraiment merdé dans les largeurs.

L'heure du diner arrive, et je t'appelle finalement. La table est mise.
Deux assiettes remplie de pâtes au ketchup, deux gobelets en plastique, deux fourchettes. Deux sièges qui se font face pour deux personnes qui ne savent pas vraiment communiquer.
_ Nina ! C'est prêt. Je toque à sa porte et repars dans la cuisine. Je verse du coca zéro dans les gobelets blancs. La mousse déborde un peu.
Je vide mon verre d'un trait et laisse s'échapper un rôt silencieux, mais un peu longuet. De ceux qui sortent un peu par la bouche, un peu par le nez. Ça pique les yeux légèrement.
Je me ressers.
_ Nina !
La FM gueule toujours ses chansons aseptisés, qui se vendent par centaines de milliers d'albums auprès de gamines rêvant de devenir pop-star ou de se faire déflorer par un beau vampire avec des paillettes sur la peau.
_ ...
Je m'apprête à hurler ton nom à pleins poumons, puis me ravise. On va pas y arriver comme ça.
Toquant de nouveau à ta porte, je l'entr'ouvre. Sans jeter de coup d’œil à l'intérieur, je glisse un :
_ Chérie, le repas refroidi, vient maintenant.
_ Okay, p'pa. On mange quoi ?
_ Comme d'hab'.
_ Cool.
Je pousse un peu plus la porte. Faut savoir créer des ouvertures pour provoquer les choses. Je l'oublie parfois. La plupart du temps, je donne juste un coup d'épaule dedans. Et la porte me revient souvent dans la gueule.

 Là où crèvent les trains - K. Parys.

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