jeudi 27 décembre 2012

Là où crèvent les trains - III


Je m'escrimais sur ma vieille guitare sèche depuis une bonne heure. Les La et les Do, sonnaient en b-mous, pas vraiment convaincants.
Mes cordes étaient vieilles et usées, ma guitare était vieille et usée, j'étais pas vieux, mais bien usé.
Et puis il fallait l'admettre, j'étais pas BB King non plus, hein.
Cette ébauche de mélodie qui tournait dans ma tête depuis hier ne voulait pas sonner au bout de mes doigts fébriles et douloureux.
Je faisais claquer les cordes de plus en plus fort, au fil de l'énervement qui me gagnait.
_ Tiduduididudiduidu-doudoum (la sonnerie de mon portable)
_ Aaaaah bordel !
_ CLAK ! (une corde qui pète)
_ Aaaaaaaah mais bordeeeeeeel !
Allo ?!
_ Hello papounet, ouate are iouh douingue ?
_ Ah bordel...
_ Super l'accueil...
_ C'est pas toi ma chérie, j'ai cassé une corde sur ma guitare, c'est tout.
_ Tu te remets à la musique ?
_ Je crois que la guitare à décidé pour moi. C'est comment ton voyage en U-KAY, alors ?
_ Super trop cool. C'est d'la balle, on est arrivé du ferry ce matin, Deborah était toute verte et à dégueulé sur sa robe, trop drôle !
_ C'est la minette de ta classe que tu peux pas blairer ?
_ Ouais, elle se la joue trop star, mais en fait elle est trop conne.
_ Surveille ton langage, princesse, merde.
_ Et toi alors ??!
_ Moi j'ai été élu représentant de la grossièreté par les journalistes.
_ Hihi ! Bein les chats font pas des chiens !
_ Ni l'inverse. Surveille ton langage, c'est tout. T'as fumée ? je sens ton haleine de  chacal rebelle d'ici !
_ Pffff, même pas vrai, non jefumepapapa.
_ T'as intérêt, cocotte où je te colle en centre de désintox' à ton retour.
_ Ca existe pour les fumeurs ?
_ Je viens de l'inventer. Et crois-moi, tu veux pas savoir à quoi ça ressemble.
_ Faut que j'y aille, on doit aller diner dans la famille d'accueil !
_ Mais il est 4h de l'aprem !
_ Y sont bizarres les rosbifs.
_ Soit gentille avec eux quand même.

Tu me raccroches au nez, sans doute affamée. Bon. Je vais faire quoi moi, maintenant ?
Sur l'écran de télé en sourdine, un film catastrophe passe. De ces films qui sont présentés comme un reportage du 20h, mais en plus mauvais, si c'est possible. Je vais m'épargner ce genre de merde. Je pose la guitare et coupe la télé.
Je met de la musique en fond et ferme les yeux.
Lorsque je les rouvre, il fait déjà nuit dehors.
J'envoie un texto à une nana que je connais vaguement, l'invitant à passer la nuit à l'appart.
La réponse se faisant attendre (et qui en fait, ne viendra jamais), je me rabats sur une soirée pizza et jeu vidéo.

Là où crèvent les trains - II


C'est une de ces soirées moites, où la bouffe passe mal. Au diapason d'une très lointaine nausée. Ou un malaise peut-être.
Je répond à deux ou trois conneries sur mon facebook, puis fait pivoter mon siège.
La jeune femme est là, allongée nue sur le lit. Elle me regarde sans rien dire. Sa jambe droite est repliée, et forme un oblique qui me cache son sexe. Ses petits seins eux, me défient avec leurs bouts dressés et arrogants. Beaux et arrogants.
Je sens mon bas ventre qui dresse la tente à nouveau. Et moi qui ne sais jamais lui dire non.
Décidément.
_ Tu attends quoi ? Que je vienne te violer sur ton fauteuil ?
_ Pourquoi pas ? La chaleur fait fusionner mon cul avec le cuir de mon trône, insatiable bourreau qu'tu es. Je peux péniblement tenter de venir jusqu'à toi, mais j'ai peur de me retrouver avec une roulette qui se prendrait pour un tourniquet de casino avec mes billes.
_ T'es con...
Elle se marre.
_ On me fait souvent la remarque. C'est sûrement de notoriété publique, maintenant.
_ Et si je te dis que tu peux faire de moi ce que tu veux ? Là où tu veux, dans la position que tu veux...
_ Je répondrais que la grand voile est déjà hissée et qu'il ne reste plus qu'à embarquer sur ta magnifique coque... de ce côté ou de l'autre du Mississippi.
Je décolle mes fesses nues et un peu moite du fauteuil dans un "flop" étouffé, et glisse sur le matelas jusqu'à la peau brûlante qui m'attend.
_ Papaaaaaaa ?
_ Carguez les voiles et planquez les dames en soute, nous sommes abordés par un navire pirate !
Je fais rouler ma compagne sur le lit qui tombe de l'autre côté, dans un bruit mât. J'ai pas été très doux sur ce coup là, mais les réflexes manquent parfois de précision.
Tu ouvres la porte et j'ai tout juste le temps de dissimuler ma douteuse nudité avec les draps.
Tu me regardes interloquée et je prend une pause toute naturelle.
_ Je te dérange ?
_ Pas du tout, trésor ! Je faisais juste un peu de nudi-relaxation.
_ C'est quoi ça ?
_ C'est quand tu laisses les énergies positives autour de toi glisser sur ton corps pour être en harmonie avec l'univers. Ou pour faciliter la digestion.
_ Hin...
_ Besoin de quelque chose ?
_ Je pars demain après-midi avec la classe pour l'U-KAY, tu peux me filer un peu de fraiche pour acheter de quoi manger sur la route ?
_ L'Uruguay ? Vous êtes pas un peu jeune pour aller planter de la coca en Amérique du sud ?
_ L'U-K, p'pa, l’Angleterre, quoi. Pfff...
_ Ohhh... dans ce cas, tu trouveras mon coffre à trésor dans la cuisine. Doit y'avoir un billet de 20, dedans.
_ Merci !
Tu refermes la porte.
_ Et ne pique pas ma carte bleue ! j'en ai marre de changer de code !
C'est vrai ça... comment fait elle pour toujours trouver mon code, alors que moi je le perd une fois sur deux.
Une tête ébouriffée émerge près de moi.
_ Désolé, belle naufragée, j'espère que tu n'as pas été attaquée par des requins pendant que je repoussais l'offensive de Anne Bonny ?
_ Tu te fous de ma gueule, tu m'avais pas dit que t'avais une morveuse.
_ Hey, hey ! Ma progéniture a peut-être de temps en temps la goutte au nez, mais j'aimerai un peu de respect ici, pour ce petit monstre vénal. Et puis je savais pas qu'elle était rentrée.
_ Tu m'as l'air d'un foutu connard irresponsable.
_ C'est bien possible, mais pour ma défense, j'ai quand même protégé ta vertu et son innocence d'un seule geste. Ça mérite bien un petit bisou ?
_ Va chier, Sam.
_ Bon okay, navré pour le geste brusque, Marlene.
Elle me regarde avec des éclairs qui sortent des yeux et qui m'électrocutent les poils pubiens.
_ Darlene ?
_ Connard.
_ Charlene ?
_ Je t'emmerde.
_ Je sèche.
_ Tu peux crever, aussi.
Elle enfile ses vêtements plus vite que je n'ai le temps de penser à un autre prénom et quitte la chambre en claquant la porte, ses sous-vêtements dans la main.
Je t'entend t'égosiller dans l'appart'.
_ Papaaaaaaaa ??!
_ Ouais trésor ?
_ C'est qui la dame ?
_ Une excellente nageuse qui n'aime pas boire la tasse...

Là où crèvent les trains - I


La porte d'entrée s'ouvre en fracas.

_ Papaaaaaa !

_ Hein ?

Tu déboules dans le salon où tu me trouves affalé dans le canapé. J'ai toujours pas enfilé de futal depuis ce matin, et j'ai l'oeil rivé sur une émission TV qui traite du régime alimentaire des fourmis rouges.

_ Faut absolument que tu signes ce papier pour l'école ! J'en ai trop besoin, c'est pour le cours d'anglais !

_ Donne.

Je prends la feuille et un stylo fluo que tu me tends, puis je signe ton papier avec une encre rose baveuse. Tu m'arraches le document des mains illico, mais me laisses le stylo.

_ Tu fais le chèque avec s'il te plais ?

_ Hein ?

_ Bein ouais, pour le voyage de classe y faut payer 400 euros.

_ Quel voyage de classe ?

_ Bein le voyage pour lequel tu viens de signer.

_ Peut-être que si tu vends mon autographe t'en retirera l'argent nécessaire.

_ Tu déconnes, t'es pas assez connu pour ça. Aller papa, allerpapaallerpapaallerpapas'ilteuplaits'ilteuplaiiiiiiit.

_ Tu m'emmerdes fillette. Au début il est question d'un papier à signer pour le cours d'anglais, la seconde qui suit c'est pour partir à l'aventure avec une bande de gamins débiles qui vont fumer des clopes et gerber sur du gazon anglais après leur première bière.

_ Mais nan, je boirais pas et je fumerai pas, t'inquiète. C'est cool.

_ C'est pas cool, nan. J'aimerais bien que tu me parles de ce genre de trucs avant de me filer n'importe quoi à signer.

_ T'as qu'à lire ce que je te donne à signer aussi.

_ Hey ho, tu me casses les roupettes. Va faire tes devoirs, on en reparle après, pendant le dîner.

_ Tu fais chier...

_ Oh tu pourrais mieux...

T'es déjà partie dans ta chambre. Tu m'uses plus vite qu'un sprint dans une montée.

Tout juste 12 ans, t'as déjà ma personnalité d'emmerdeur publique. Et puis tu jures comme un charretier. J'ai foiré ton éducation, alors oui, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Ya une grosse faille dans ma mécanique parentale.

Je m'allume une cigarette et coupe la télévision. Le silence est juste parasité par la musique que tu écoutes à fond. Ça m'aurait moins dérangé si tu écoutais Led Zep, ou Chopin. Mais c'est une saloperie de FM pour ados que tu mets, la plupart du temps.

J'ai vraiment merdé dans les largeurs.

L'heure du diner arrive, et je t'appelle finalement. La table est mise.
Deux assiettes remplie de pâtes au ketchup, deux gobelets en plastique, deux fourchettes. Deux sièges qui se font face pour deux personnes qui ne savent pas vraiment communiquer.
_ Nina ! C'est prêt. Je toque à sa porte et repars dans la cuisine. Je verse du coca zéro dans les gobelets blancs. La mousse déborde un peu.
Je vide mon verre d'un trait et laisse s'échapper un rôt silencieux, mais un peu longuet. De ceux qui sortent un peu par la bouche, un peu par le nez. Ça pique les yeux légèrement.
Je me ressers.
_ Nina !
La FM gueule toujours ses chansons aseptisés, qui se vendent par centaines de milliers d'albums auprès de gamines rêvant de devenir pop-star ou de se faire déflorer par un beau vampire avec des paillettes sur la peau.
_ ...
Je m'apprête à hurler ton nom à pleins poumons, puis me ravise. On va pas y arriver comme ça.
Toquant de nouveau à ta porte, je l'entr'ouvre. Sans jeter de coup d’œil à l'intérieur, je glisse un :
_ Chérie, le repas refroidi, vient maintenant.
_ Okay, p'pa. On mange quoi ?
_ Comme d'hab'.
_ Cool.
Je pousse un peu plus la porte. Faut savoir créer des ouvertures pour provoquer les choses. Je l'oublie parfois. La plupart du temps, je donne juste un coup d'épaule dedans. Et la porte me revient souvent dans la gueule.

 Là où crèvent les trains - K. Parys.

Là où crèvent les trains - Introduction


Dans cette histoire, rien n'avait commencé vraiment bien. Et rien n'annonçait que ça ne se termine mieux.

Ta mère et moi on s'étaient déjà séparés quand elle te donna naissance. Les sentiments s'étaient barrés, les conneries venaient entacher un quotidien déjà bien merdique. Nos caractères trop différents, nos ego trop couillus, nos pardons trop rares, nos engueulades étaient devenues notre seul mode de communication. On pouvait le dire : c'était mort.
Et toi tu te pointais au milieu de ça.
Lorsque ta mère apprit qu'elle était enceinte, elle décida de te garder. Moi je ne voulais pas de toi. Je ne voulais pas être père. Je ne voulais rien qui me rattache à elle.
Et puis j'étais moi-même un enfant. Les responsabilités, jouer les adultes, faire son entrée dans le monde des grands, ça me brisait les burnes royalement.
Je voulais juste larguer les amarres et naviguer vers des eaux plus calmes, un peu moins boueuses. J'en avais plein le cul de patauger dans les marécages, avec elle qui me poursuivait comme un alligator enragé.
J'avais besoin de renaître, pas de faire naître.
Alors t'étais tout à coup devenue une gigantesque épine dans mon pied de marin d'eau douce.

Je n'ai pas revu ta mère de toute sa grossesse. Quelques échanges de textos de temps en temps. Rarement calmes. Souvent des reproches. Même à distance, les choses ne changeaient pas.

Et puis t'es née.
Ce jour là, j'étais présent. Parce que j'avais beau fuir cet évènement pour préserver ma santé mentale, j'assumais assez mal d'être le dernier des connards.
Après tout, t'avais rien demandé, toi. T'étais une innocente petite créature braillarde qui se retrouvait au milieu d'un merdier sans nom. Et même si je rejetais en bloc l'idée de devenir père, j'avais pas le choix. T'étais là, et je me voyais mal faire comme si tu n'existais pas.
Alors j'étais venu. Je te tenais dans mes bras, pendant que tu me regardais avec tes yeux à demi-ouverts et ta peau toute fripée. Au début t'avais crié un peu, puis rapidement tu t'étais calmée. Pendant que je t'observais, à moitié crédule, les médecins s'affairaient sur ta mère, alors qu'elle se vidait de son sang.
Quelques minutes plus tard, les docteurs nous séparèrent toi et moi, puis on me fit sortir de la salle d'opération.
Quelques minutes de plus, on revenait me voir pour m'annoncer qu'elle était décédée. Trop de sang perdu. Elle s'était vidée comme un lavabo dont la bonde ne fermait plus vraiment.
Evidemment, les docteurs ne me l'ont pas décrit comme ça. Mais c'est l'image qui m'est apparue en tête. Un lavabo blanc, et une eau rosâtre qui glisse, puis disparaît, dans un glou-glou métallique.
Ils m'ont dit qu'ils étaient sincèrement navrés.
Je n'ai rien répondu. Puis j'ai dégueulé mon cèleri rémoulade sur les pompes de celui qui me faisait face.

samedi 1 septembre 2012

Les voix égales

Ya cette voix qui sort de nulle part.
Ni un murmure, ni un écho.
Lorsque tu t'observes seul, au centre de la pièce. Seule la pièce qui observe la silhouette de tes murs, à contre-coeur.
Ni un murmure, ni un écho.
La gorge qui l'enfante n'est pas l'abime qui te scrute.
Le souffle qui l'exprime ne glisse pas sur ta peau. Il s'arrime.

Loin des influences bruyantes. Celles qui s'agitent et jouent cet acte d'une prose sans éclat.
Il y a ces quelques voix qui sortent de nulle part. Et qui repartent, égales.
Lorsque tu observes la rue, que la rue t'observe, et que tu veux disparaître entre les interstices des pavés.
Lorsque tu veux t'y loger avec simplement le silence et l'étreinte de tes propres bras.
Elles se meuvent autour de toi et te mettent à l'abri.
Les voix vagabondes qui sont le refuge inhabité dont tu t'habilles.
Avant la mise à nu.
Le retour au silence.
La marée avant la crue.
L'implosion des sens.

samedi 9 juin 2012

La césure des chairs

As-tu jamais entendu l'évanouissement des intentions ?
Pourtant elles éclatent tout autour.
Les rafales d'obus en porcelaine ne durent jamais éternellement.
Mais la césure des chairs.
Des gardiens absents aux malheureux égarements,
Les lignes droites ne sont jamais maintenues par les odieux
Obstacles qu'on insiste à voir.
Mais de l'unique parcours restant.
Au contraire de toute fausse croyance prédéterminée,
Seul restera érigé l'élan des courts instants arrachés.
Jamais un trou béant dans le ventre du monde.
Mais les ulcères sans fin du recommencement.
As-tu jamais entendu l'épanouissement des inventions ?
Elles rouillent pourtant au-dedans.
D'interminables mécaniques humaines qui jamais n'éprouvent.
Mais se meurent en grinçant.

jeudi 24 mai 2012

Hein ? IV

Les cadavres de la veille sont recouverts d'un mince filet d'aube nouvelle. Non pas que ce soit vraiment plus lumineux ou plus beau.
C'est juste nouveau. Ou un ancien neuf.
On pourrait croire que le chemin parcouru prévaut.
En fin de compte, non.
Il n'y a que l'indistincte ombre chinoise qui recouvre d'un linceul nos têtes recroquevillées. La silhouette vaguement familière de l'insaisissable.
Le merdier habituel qui tangue et trouve son accalmie. Puis tangue. Puis vomit.
Les naufragés d'une galère qui prend la flotte. Et on écope. On écope.
Mais on est pas si cons, on se lance quand même des bouées.
_ Hein ?

samedi 5 mai 2012

Hein ? III

Il n'y avait pas de beauté. Il n'y en avait plus.
De tout ce qui avait été beau un jour, nous n'en avions conservé aucun souvenir. Seuls perduraient nos fantasmes tapissés sur des ombres chinoises que l'on croisait au gré de notre existence.
Ces inconnus devenaient alors la pluie et le beau temps de notre quotidien.
Ce collage de société que tous pratiquaient était le legs que nous nous étions fait à nous-même. Sous des croyances faussées de capitaux gonflés ou de démocratie aboutie, l'inconnu était devenu le familier repeint par un subconscient collectif et perverti.
Alors que notre propre visage ne renvoyait plus du miroir qu'un reflet absent et dénué d'origine.
On s'était tué à appliquer à autrui ce qu'autrui nous appliquait.
Et personne ne parvenait convenablement à rien.
Le ciment qui nous liait était une mélasse d'objectifs que nous nous efforcions surtout de ne pas appliquer à nous-même.
C'était la fuite de soi, vers l'autre, inventé.
Nous étions des super-héros qui accrochions la nuit notre couette autour du cou, volant en rase-motte vers le même lendemain que l'hier.
Le cycle interminable ne pouvait alors plus être brisé.
Nous n'avions conservés aucun souvenir de tout ce qui avait été beau un jour. C'était la boite de Pandore qui nous contenait. Que nous contenions. Et que nous nous acharnions à garder fermé, sans même en connaître la raison.
_ Hein ?
_ Mais tagueule à la fin.

jeudi 19 avril 2012

Hein ? II

T'as pas chômé.
Tu t'es galvanisé d'échecs médiocres, jour après jour.
Les brandissant comme autant de chaussettes trouées dans ton panier de sale linge.
En reniflant l'effluve morte de tes ongles de tes serres de tes amarres fatiguées.
Tu parades avec un art douteux de tout foirer.
T'efforces d'être humanisé, jouant les sourds / muets / vides de sens.
Tes fuites en riant, tes cachettes en pleurant, ta bravoure en beuglant.
Compter les plantages et les murs éraflés. Ignorer les petites morts distribuées.
Sortir les belles fringues pour aller au supermarché. Bosser en jogging, bien tâché.
Baiser à droite, à gauche, sans trop jouir.
Bousculer les autres, sans jamais t'arrêter, -T'écrases mes grolles, enculé.
Te plaindre, te glorifier, te placarder publiquement, faire les cent pas sans les pieds.
C'est ça ta façon d'aboutir. Ta façon de célébrer l'attente avant de mourir.
Enterre les peaux-mortes de ton esprit créatif sous la glaise bien niaise de tes expos de terre-cuite. Cuite.
Troque le sourire forcé du comédien contre le visage paisible du mannequin.
Flambe les derniers billets de train vers le sud aveuglant, et scrute l'ombre sous tes pompes.
Elle, au moins, ne t'a jamais inventé.
_ hein ?

Hein ? I

On en a fait du chemin.
Les routes en croisillons qui se cabrent au moindre faux pas. On étaient des ordures, des couturiers brandissant les épingles de nos objectifs. Tirant le fil tendu de nos opportunités. Il n'y avait rien alors qui pouvait passer les mailles de notre entêtement.
Et quand bien même un accroc se serait produit, nous pouvions nous parer d'un voile opaque, pour ne plus voir qu'en nous-même.
Il y avait ce gamin immobile, tenant son nounours borgne par le bras.
Tout à fait immobile.
Il était le point de départ de cette manche en forme de tunnel mou. Celui qu'on emprunte à coup sûr, pour se glisser dedans.
Et si l'on ne regarde jamais derrière soi, ce n'est pas par conviction, mais par crainte de n'apercevoir sur ce vieux trottoir que la charogne d'un corps juvénile aux tripes distendues.
Le cadavre date, méconnaissable. Mutilé par l'oubli de notre impulsion première.
_ hein ?

mercredi 8 février 2012

Errata

Les gens mourraient autour de lui.
Ils s'écroulaient chacun leur tour, de ce même mouvement grotesque et fascinant.

L'effondrement.

De ces visages qui n'exprimaient jusqu'alors rien, se gravait soudainement l'expression de la surprise et de l'effroi. La compréhension d'un geste qui leur était destiné.
Yeux ronds, et sourires écartelés en grimaces figées. Et la fierté, l'humilité, le courage, la décence. Rien n'avait plus de sens à cet instant. Juste le cri sourd de celui qui est choisi.
Fauché par cet aperçu instantané que c'était vain.
Et lui, immobile, au centre de ce vortex de mort et d'horreur, il fermait les yeux de toutes ses forces, attendant son moment.
Il sentait les corps s'écrouler dans un bruit mât. A deux pas devant, ou le frôlant dans le dos. Parfois à des milliers de kilomètres de l'enfer. Nulle distance ne l'épargnait de son témoignage innommable. L'enfer s'ouvrait sous ses pieds et lui refusait l'entrée.
Dans ce maelström, une énergie fantastique se riait de lui, en dévorant autrui.
Et le jeu de dominos semblait ne jamais vouloir s'arrêter.

"A neverending story" d'une fin finalement affamée.

Mais rien n'aurait pu le préparer à l'indécence qui s'ensuivit. Derrière ses paupières closes, il voyait le champ de cadavres s'étendre à perte de vue.
A perte de vie.

Il en perdait progressivement la raison.
Rien de tout cela n'avait le moindre sens.

Et s'agrippant désespérément à l'espace déserté autour de lui, au vide tangible qui le cernait, à ce silence alors insoutenable, il riait de toute ses forces.
Sur le lit du charnier, il riait à s'en perforer les poumons.
A en faire céder le fil ténu de ses cordes vocales.
Son expression n'était alors pas si différente de celle de ces monticules de corps qui l'invitait à les rejoindre.