jeudi 27 décembre 2012

Là où crèvent les trains - Introduction


Dans cette histoire, rien n'avait commencé vraiment bien. Et rien n'annonçait que ça ne se termine mieux.

Ta mère et moi on s'étaient déjà séparés quand elle te donna naissance. Les sentiments s'étaient barrés, les conneries venaient entacher un quotidien déjà bien merdique. Nos caractères trop différents, nos ego trop couillus, nos pardons trop rares, nos engueulades étaient devenues notre seul mode de communication. On pouvait le dire : c'était mort.
Et toi tu te pointais au milieu de ça.
Lorsque ta mère apprit qu'elle était enceinte, elle décida de te garder. Moi je ne voulais pas de toi. Je ne voulais pas être père. Je ne voulais rien qui me rattache à elle.
Et puis j'étais moi-même un enfant. Les responsabilités, jouer les adultes, faire son entrée dans le monde des grands, ça me brisait les burnes royalement.
Je voulais juste larguer les amarres et naviguer vers des eaux plus calmes, un peu moins boueuses. J'en avais plein le cul de patauger dans les marécages, avec elle qui me poursuivait comme un alligator enragé.
J'avais besoin de renaître, pas de faire naître.
Alors t'étais tout à coup devenue une gigantesque épine dans mon pied de marin d'eau douce.

Je n'ai pas revu ta mère de toute sa grossesse. Quelques échanges de textos de temps en temps. Rarement calmes. Souvent des reproches. Même à distance, les choses ne changeaient pas.

Et puis t'es née.
Ce jour là, j'étais présent. Parce que j'avais beau fuir cet évènement pour préserver ma santé mentale, j'assumais assez mal d'être le dernier des connards.
Après tout, t'avais rien demandé, toi. T'étais une innocente petite créature braillarde qui se retrouvait au milieu d'un merdier sans nom. Et même si je rejetais en bloc l'idée de devenir père, j'avais pas le choix. T'étais là, et je me voyais mal faire comme si tu n'existais pas.
Alors j'étais venu. Je te tenais dans mes bras, pendant que tu me regardais avec tes yeux à demi-ouverts et ta peau toute fripée. Au début t'avais crié un peu, puis rapidement tu t'étais calmée. Pendant que je t'observais, à moitié crédule, les médecins s'affairaient sur ta mère, alors qu'elle se vidait de son sang.
Quelques minutes plus tard, les docteurs nous séparèrent toi et moi, puis on me fit sortir de la salle d'opération.
Quelques minutes de plus, on revenait me voir pour m'annoncer qu'elle était décédée. Trop de sang perdu. Elle s'était vidée comme un lavabo dont la bonde ne fermait plus vraiment.
Evidemment, les docteurs ne me l'ont pas décrit comme ça. Mais c'est l'image qui m'est apparue en tête. Un lavabo blanc, et une eau rosâtre qui glisse, puis disparaît, dans un glou-glou métallique.
Ils m'ont dit qu'ils étaient sincèrement navrés.
Je n'ai rien répondu. Puis j'ai dégueulé mon cèleri rémoulade sur les pompes de celui qui me faisait face.

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